Madame Miauton,
Nous vous remercions pour toute l’attention portée à notre mouvement. Alors oui, pour commencer : nous sommes anticapitalistes. Démystifions cela car il ne s’agit pas d’une idéologie mais du constat que votre système économique a prouvé depuis des décennies son incapacité de répondre aux urgences des limites planétaires, et de protéger notre avenir. Son fonctionnement est impossible sans croissance générée sur la base d’inégalités forcées, et la croissance économique est impossible sans croissance de la destruction des ressources (ONU 2016). Nous ne pouvons imaginer un avenir vivable sans la fin de ce système. Nous devons donc nous réinventer, promouvoir d’autres moyens d’échanges qui prennent les limites naturelles en compte sans créer d’inégalités. Quant au droit, vous parlez de la justice dans un temps court, comme si notre critique du processus judiciaire ciblait seulement le processus juridique vis-à-vis de l’extension de la Birette. Oui, nous protégeons la Birette, car cette zone de la colline du Mormont est à la fois un symbole d’un lieu en danger, mais surtout un réel territoire menacé, précieux sur de nombreux points, qui sera détruit si nous ne faisons rien, et qui nous est chère comme elle l’est aux centaines de visiteurs et visiteuses venu∙e∙s montrer leur soutien. Vous comprenez bien que notre action s’inscrit dans une continuité d’échecs de la justice à protéger notre avenir, et aux échecs des générations précédentes à transformer le droit face à la puissance des lobbys et des acteurs privés de la finance, de l’agro-alimentaire, du béton, j’en passe. Notre critique du processus judiciaire est plus vaste, et affirme que le droit actuel n’est pas en mesure de répondre aux urgences climatiques et environnementales extrêmes décrites par les scientifiques.
Les procès climatiques témoignent, par leurs allers-retours entre condamnation et acquittement, du questionnement qui se pose aujourd’hui nécessairement à la justice face à notre avenir mis en péril. Depuis les premiers constats écologiques de 1970 (Rapport de Rio), rien n’a changé. Au contraire, la croissance et l’expansion de la destruction ont continué à ravager notre terre, nos collines, nos fleuves et par conséquent le futur de la terre, et donc le nôtre. Seriez-vous complice, complaisante de cette inaction ?
C’est avec tristesse, rage, peur pour nos vies que nous prenons acte de ces échecs : nous agirons avec amour et détermination pour arrêter cette destruction et inventer un autre monde. Nous ne vous laisserons plus compromettre notre avenir dans l’impuissance, c’est pourquoi nous agissons. En 2018, le béton représentait 8% des émissions mondiales de CO2. En Suisse, Holcim est l’entreprise la plus émettrice de CO2 sur le territoire. Personne n’en parle, presque personne ne parlait du Mormont au-delà de la région avant que nous révélions par notre action la destruction en cours de la colline. La destruction en silence n’est plus possible. Ici, nous voulons sauver la colline : dans d’autres endroits du monde où le géant du ciment se trouve, des atteintes bien plus importantes aux droits et à la vie ont lieu, dans des lieux ou l’accès à la justice, à la liberté d’expression et à l’action sont rendus impossibles. Nous savons que si nous avons la possibilité d’agir et de montrer la destruction effrénée d’Holcim sur ce site biologique et archéologique suisse primordial du Mormont, des victimes directes d’autres pays n’ont aucun autre moyen que de subir les conséquences de ces processus de destruction sans pouvoir riposter. Nous en sommes solidaires et combattons aussi cette logique d’exploitation globalisée.
Idéologues, nous ? Vous le voyez bien. Non. Nous co-construisons, nous créons des lieux qui permettent de questionner un monde qui court à sa perte. Nous parlons de notre dernière génération encore capable d’éviter une dérive cataclysmique de nos collectivités. Avant qu’il ne soit trop tard, nous révolutionnons, nous ouvrons des brèches pour penser autrement. Pour penser en dehors de votre religion d’État, vous qui vous accrochez tant à cette idéologie, que l’idée de la questionner vous paraît être l’équivalent d’une bombe. Nous sommes bien plus libres : nous agissons pour le moins de souffrance possible pour les unes et les uns, pour la possibilité de vivre sur une planète respirable dans quelques décennies, pour reconnaître la valeur et les droits des éléments non-humains que nous défendons. Nous ne croyons plus en vos mœurs mortifères, vos principes épuisés, vos diktats dépassés. Et nous ne voulons plus céder aux multinationales du profit notre droit à la vie ni ceux de la nature.
Nous ne sommes pas la bombe à retardement que vous décrivez : vous êtes la voix du retard inhérent aux institutions, incapables de protéger notre futur et qui provoque aujourd’hui notre explosion. La cause de notre légitime défense. Le retardement était avant, aujourd’hui nous sommes la bombe qui pose une rupture avec votre système et vos certitudes. La bombe qui vient arrêter ce fonctionnement toujours plus écocidaire et destructeur, qui n’a cessé de nous décevoir et de nous montrer ses échecs. Nous resterons, pour protéger ce que ce système n’a pas encore pu détruire.
Le collectif des Orchidées de la ZAD de la Colline